Le Pilote Jean Roger Chansel
Les Pilotes Chansel et Victor Etienne se croisent à Barcelone avec en arrière plan le Laté 25 n°710 F-AIUS que pilotait M. Chansel ce jour là.
et dans un article du journal Excelsior du 14 Aout 1936:
Huitième Frame 1934 signifie : huitième courrier France-Amérique du Sud de l’année 1934.
Le 25 février 1934, l’avion était parti pour Dakar avec l’équipage suivant : pilote Gorret, vingt-huit ans, robuste, morose, comptant plusieurs milliers d’heures de vol de jour et de nuit au-dessus du Rio del Oro ; radio Frédéric Marret, trente ans, athlétique, taciturne, ayant plus de mille heures de vol de nuit et des atterrissages imprévus dans le désert ; Reig, mécanicien méticuleux, précieux, possesseur du brevet de pilote de tourisme ; passager M. Bourgeat, chef du secteur Mauritanie à Dakar ; interprète Sid Abdallah, de la tribu chleuhe de l’Oued Draa, qui, depuis l’ouverture de la ligne en 1925, prouva toujours son attachement et son dévouement aux équipages.
À minuit 10, message de détresse, suivant plusieurs autres inquiétants : « Moteur nous lâche, atterrissons ! » À Casablanca, Agadir, cap Juby et Port-Étienne, les avions de dépannage sont prêts à décoller à 1 h. 30. Ils attendent l’ordre que doit lancer la radio. À 5 h. 30, de Casablanca, s’envoie l’appareil emmenant le pilote Parizot, le radio Pierre Viré et le chef de secteur, M. Julien, qui prendra la direction des opérations à Juby.
Excelsior – 27 février 1934
À 6 heures, au cap Juby, décollent le pilote Chansel, le radio Matti et l’interprète El Cheik ould Chenguit. De Port-Étienne enfin s’élève un avion avec le chef de centre Baïle, le radio-chef de poste Costa qui, en 1929, fut prisonnier des chleuhs et un interprète de la tribu des R’Guibat. Ces deux derniers appareils se rejoindront au cap Bojador et battront chacun un secteur à la recherche du naufragé qui, selon les relèvements de la gonio, doit s’être posé à une quarantaine de milles du cap et dont on n’a plus reçu de nouvelles depuis son atterrissage.
Signal d’extrême urgence
Les conversations s’engagent par T. S. F. d’un avion à l’autre. 9 h. 7. — De Chansel et Matti : « Apercevons huitième Frame. Avion brisé, voyons pas équipage. Allons essayer atterrir auprès. Je rentre antenne. » Quelques instants plus tard, nouveau radio de Matti accompagné du signal d’extrême urgence indiquant que des vies humaines sont en jeu : « 9 h. 50. — Reig tué sur coup, laissé sur place avec courrier. Avons à bord reste équipage Frame et M. Bourgeat, tous très gravement blessés. Les débarquerons à Juby, Chansel demande que convoyage parte d’Agadir pour aller prendre sur lieu d’accident corps Reig et courrier. »
Le drame ?
Chansel, arrivé dans les parages du cap Bojador, vers 8 h. 30, cherchait depuis une trentaine de minutes, l’épave de ses camarades, lorsqu’il aperçut sur la droite un petit monticule suspect, colonne argentée sur le sable clair. Il’ approcha et distingua le Frame, couché sur le côté, l’aile droite levée vers le ciel, l’avant écrasé, mort ! De l’équipage, pas la moindre trace. Avait-il été déjà capturé ?
Un homme debout, sanglant…
Chansel tourna autour de l’appareil en perdant de la hauteur. À son dernier virage avant de se poser, il observa un homme debout, sanglant, tenant à bout de bras un chiffon destiné à lui indiquer la direction du vent pour l’atterrissage. Chansel se pose à une vingtaine de mètres de l’épave. L’équipage, anxieux, se précipite : l’homme debout, c’est Frédéric Marret, le radio disparu dans l’Atlantique Sud, à sa dix-huitième traversée, le 10 février 1936, après 3.700 heures de vol. Il a un bras cassé, l’autre désarticulé, remis en place par de violents chocs de l’épaule contre la paroi de l’avion brisé, et, malgré son état, il a eu l’incroyable énergie d’agiter son foulard. Gorret, étendu au sol, est relevé, ainsi qu’Abdallah qui a le crâne ouvert. Bourgeat ne peut pas bouger. Tous sont couverts de sang. — Reig, mort, dit Gorret, les larmes aux yeux.
Chansel soutient le pilote sous les épaules. Matti guide Marret. Abdallah, malgré sa fracture, suit, sans aide. Il s’agit de caser toutes ces victimes à bord du Latécoère 26 dont le coffre s’ouvre à deux mètres cinquante au-dessus du sol. Comment y parvenir ? Les valides approchent le baril d’eau pour faciliter l’escalade. Abdallah, phénomène d’énergie stoïque, grimpe le premier. Marret, qui refuse de se laisser embarquer, est hissé de force. Abdullah le tire par le cou, tandis que Chansel et Matti le poussent. Le radio s’affale dans le coffre près du chleuh. Gorret les suit. Puis Chansel et Matti vont relever Bourgeat et le portent jusqu’à l’appareil.
Plus de place !
Les quatre blessés gisent les uns à côté des autres dans le compartiment à peine plus large qu’un fauteuil. Il ne reste pas de place pour le cadavre de Reig et pour le courrier. Chansel parvient difficilement à caser les documents de bord du Frame. Il décolle vers 9 h. 30 pour se poser à midi à cap Juby, suivi à midi 30 de Parizot, Viré et M. Julien.
Il faut aller chercher Reig et le courrier. L’interprète de Chansel, El Cheik ould Cherguit, qui accompagnera Parizot et Viré, conseille de ne pas retarder le départ, si l’on veut arriver avant les pillards et les chacals. Parizot décolle à 13 h. 45, malgré le vent de sable qui court au ras du sol et cache la terre. À 15 heures, El Cheik fait signe à Parizot. C’est là que les recherches vont commencer. Viré se fait relever toutes les cinq minutes par les stations de Juby et de Villa-Cisneros. Parizot, grâce aux indications des gonios qui ont repéré le matin Chansel et Matti, suit une ligne presque impeccablement droite. Mais les tourbillons de sable s’épaississent, dissimulent le sol de plus en plus. La visibilité devient presque nulle. Il faut voler en rase-motte pour essayer de voir, ce qui diminue le champ d’exploration. Durant quatre heures, la région est battue en tous sens. L’équipage, l’œil aux aguets, s’efforce de découvrir l’aile du Frame dressée vers le ciel. Il aperçoit des tentes, des chameaux, il distingue des indigènes voilés et drapés de bleu, le fusil en bandoulière. C’est tout ! À 16 h. 30, il coupe la piste qui mène vers l’Est aux solitudes du Tanezrouft. Le sable continue son offensive, dévorant la terre.
La rage au cœur, devant leur impuissance. Parizot et Viré retournent à Juby à 17 h. 10. Ils vont à l’infirmerie revoir leurs camarades.
On les reverra !
Frédéric Marret, malgré ses souffrances, trouve la force de sourire et dit :
— On les reverra, va !
Gorret explique l’accident à Parizot. Bourgeat demande :
— Et Reig ?
On ne lui répond pas. Les têtes se baissent, simplement. Le lendemain, deux avions s’envolent ensemble avec le matériel destiné à dégager le corps de Reig : haches, burins, masses, etc… Dans l’un, Chansel, Matti et leur interprète chleuh, dans l’autre, Parizot, Viré et El Cheik ould Chenguit. Cette fois, le sable se repose, la terre apparaît dans ses moindres détails. À 10 h. 47, Parizot étend le bras vers l’horizon. Bientôt, Viré distingue l’aile lugubre du Frame. Il se tourne vers El Cheik chargé de discerner si des dissidents sont là. L’interprète est nerveux, il cherche, comme un sourcier. Les avions descendent. Au moment où ils vont se poser, le Maure lance un signal. Trop tard. L’atterrissage était amorcé.
— Moi voir sentinelles. Laisse marcher moteur, crie El Cheik qui, muni des jumelles de Viré, debout sur le moteur, scrutera les environs pendant toute l’opération. Parizot, revolver au poing, s’est élancé vers l’épave. Viré le suit, prêt à tirer aussi. Des Maures ne se seraient-ils pas cachés dans les débris ? Prudemment, le pilote entre la cabine : elle est vide. Où est Reig ? Où est le courrier ? Les sauveteurs tournent autour du Frame. Ils aperçoivent d’abord des lettres, des plis, répandus, déchirés sur le sable. Le chleuh de Chansel les ramasse. Ils découvrent enfin le malheureux Reig, à plat ventre sur le sable, tout nu.
Pauvre vieux !
Ils se penchent et portent le corps jusqu’à l’avion de Chansel. Matti, monté dans le fuselage, tire à lui la dépouille que les autres ont hissée et l’installe dans le coffre.
— Pauvre vieux ! disent en guise d’oraison funèbre pilotes et radios devant leur ami, nouveau martyr du désert. Ils sont immobiles, silencieux : à qui le tour ? semblent-ils se demander. Ils gardent le revolver à la main. Soudain, El Cheik, statue de bronze, immobile sur le moteur, la main en abat-jour au-dessus des yeux, rompt le silence :
— Vite, Maures venir !
L’interprète chleuh accourt, les bras chargés de papiers déchirés : c’est ce qui reste du courrier d’Amérique. Les deux équipages reprennent place dans leurs avions respectifs. Chansel décolle, Parizot le suit. Il est 11 heures. Pierre Viré, à qui je dois le récit de cette tragique aventure, envoie ce message : « Avons à bord corps Reig dégagé et dépouillé vêtements par les Maures. Courrier pillé et dispersé. » L’avion de Parizot devenu le « huitième Frame 1934 » — remplaçant l’autre tombé au champ d’honneur — terminera le travail interrompu. Même incomplet, le courrier arrivera. Le flambeau est passé.
Jacques Mortane.
Source : MORTANE, Jacques. « Conquérants de l’air – La mort du 8e » Frame 1934 « ». Excelsior. 14 août 1936.
Le livre est préfacé par Jean Mermoz:
Pierre Viré, radio-navigant de la Cie. Air-France, pionnier de l'ancienne Aéropostale sur ses lignes de la Méditerranée, de Casablanca-Dakar et Sahara, a été formé à la rude école de la ligne. Il en a conservé l'esprit d'humour et de gaîté saine qui régnait alors dans les popotes où les hommes du personnel navigant aimaient se retrouver pour discuter amicalement le coup. Son livre écrit dans un style sobre, direct, dépouillé de lyrisme littéraire, est émouvant de simplicité. La beauté d'une épopée s'y exprime d'elle-même, sans emphase. J'y ai retrouvé, vivant, le souvenir d'amis disparus ou trop oubliés, ainsi que l'évocation d'expériences personnelles qu'il m'a permis de revivre, tant les récits qu'il en fait sont d'une éloquente vérité.
En 1934, Chansel a eu l’occasion de démontrer sa bravoure.
Son second départ vers l'Amérique du Sud a lieu le 1" Décembre 1935 en tant que passager du Santos Dumont:
Il fait lui même en Avril 1939 un certain nombre de vols d'essai entre Dakar et Natal comme pilote d'un Farman:
Il effectua entre le 11 Avril et le 10 Juillet 1939, 14 traversées de l’Atlantique Sud entre Dakar et Natal, puis servi au Groupe Aérien de Transport de 1940 a 1942, et après avoir effectué des courriers dans la Métropole en 1943 et en Afrique Française, il refusa de convoyer des avions pour les allemands et donna sa démission. Réintégré à Air-France après la Libération, il poursuit sa carrière de pilote.
Le 4 Juillet 1940 il est démobilisé:
Il trouve la mort le 3 Février 1951 sur le mont Cameroun en Afrique.
Deux sous-articles méritent qu'on les rendent plus visibles:
Avec des copains Pilotes
Février 1930 (Espagne et Maroc)
Quelques registres des mouvements des ports aériens: