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sábado, 9 de dezembro de 2023

Les bibliothèques de Isucher et Samuel Schwarz

 

Une bibliothèque, c'est le carrefour de tous les rêves de l'humanité (Julien Green 1900-1998)

Ayant été consulté sur ce qu’il devait advenir des livres de la Bibliothèque d’Alexandrie (détruite le 20 Décembre 642), le calife Omar Ier (v.581-644) fit la réponse suivante :« S’ils sont conformes au Coran, ils sont inutiles, s’ils sont contraires au Coran, ils sont pernicieux : donc il faut les détruire »

Pendant des millénaires, les bibliothèques de toutes sortes, de toutes tailles ont permis à l'humanité d’ouvrir des chemins de connaissance, permettant certaines des plus grandes innovations jamais conçues.

La plus ancienne au monde est la bibliothèque royale d'Assurbanipal, roi d'Assyrie (668 - 630 avant notre ère) située en sa capitale, Ninive. Les archéologues y ont découvert plus de 30 000 tablettes et fragments en écriture cunéiforme, préservées par la chaleur produite par l’incendie qui visait à sa destruction.

La Grande Bibliothèque d'Alexandrie est sans aucun doute la plus célèbre de l'Antiquité classique. Au fil des ans, elle acquit le statut mythique de bibliothèque «universelle» où tous les chercheurs du monde antique pouvaient venir partager leurs idées. Située à Alexandrie, ville portuaire au nord de l'Egypte, elle fut construite vers 295 avant notre ère par Ptolémée I et détruite en 642, lors de l’invasion arabe.

Bagdad, la grande ville irakienne, était autrefois l'un des centres d'apprentissage et de culture du monde le plus célèbre. Établie au début du IXe siècle après J.C. sous le règne des Abbassides, la Maison de la Sagesse fut construite autour d'une gigantesque bibliothèque où étaient conservés des manuscrits persans, indiens et grecs qui traitaient de mathématique, d’astronomie, de science, de médecine et de philosophie. Les plus grands érudits du Moyen-Orient s’y réunissaient pour étudier ces textes et les traduire en arabe. Parmi eux, on retrouve le mathématicien al Khawarizmi, l'un des pères de l'algèbre. Ce lieu fut le centre intellectuel du monde islamique pendant des centaines d’années, mais en 1258, il fut totalement anéanti quand les Mongols saccagèrent Bagdad. Selon la légende, tant de livres furent jetés dans le Tigre que ses eaux sont devenues noires de l'encre de tous ces manuscrits.

Parmi les bibliothèques privées, l’une des plus intéressantes est sans doute la bibliothèque de la Villa des Papyrus à Herculanum. Construite par le beau-père de Jules César, Lucius Calpurnius Piso Caesoninus, riche homme d'État et consul de la République romaine en 58 de notre ère, elle était située à proximité de la baie de Naples. Lors de l’éruption du Vésuve en 79 après JC, elle fut ensevelie et ce n’est qu’au 18ème siècle que quelques huit cents rouleaux furent découverts.

Toutes ces bibliothèques ont pour destin commun d’avoir été partiellement ou totalement détruites (brulées, pillées, vandalisées). Mais très souvent, elles s’étaient constituées par le vol d’autres bibliothèques. On notera a cet égard que Assurbanipal qui avait acquis un grand nombre de ses tablettes par le pillage, était particulièrement préoccupé par cette question. En effet une inscription dans l'un des textes retrouvés avertit que si quelqu'un vole des tablettes, les dieux le «renverseront» et «effaceront son nom, sa semence du pays».

Depuis ces temps anciens, d’autres bibliothèques publiques ou privées ont vu le jour, mais toutes ont été victimes de la folie destructrice de l’homme. L’exemple le plus récent du pillage à grande échelle est celui des Nazis au cours de la seconde guerre mondiale. Dès 1933, fut créé en Allemagne, une organisation l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) (Équipe d'intervention du Reichsleiter Rosenberg) dirigée par Alfred Rosenberg. A partir de 1940, l’ERR s’empare de manuscrits précieux dans les bibliothèques, les archives, les greffes des autorités ecclésiastiques et les loges maçonniques des pays occupés et de tous les biens culturels de valeur appartenant à des juifs. La vraie mesure de l’énormité de la spoliation n’apparut qu’à la libération. Rien qu’en France on estime à 10 Millions le nombre de livres confisqués et envoyés en Allemagne.

Au sortir de la deuxième grande guerre, l’un des grands problèmes que les alliés ont eu a résoudre en Europe, fut celui du sort qu’il fallait réserver aux millions de livres dont les Nazis s’étaient emparés dans les bibliothèques publiques et privées. Trois archives dépôts furent établis par les Etats Unis, dont celui de Offenbach, à la sortie de Frankfort- sur-Main en zone américaine, regroupant près de trois millions de livres.

Y étaient acheminés tous les livres volés, découverts dans des lieux de dépôts allemands. Le problème crucial et non encore totalement résolu à ce jour, fut de retrouver les légitimes propriétaires. Comment permettre aux propriétaires et à leurs légitimes héritiers de les récupérer? Peu d’efforts ont été consentis pour répondre efficacement à ce problème.

La question est particulièrement pertinente concernant la bibliothèque privée du père de Samuel Schwarz, Isucher Szwarc, natif de Zgierz en Pologne. Il s’était constitué la plus grande bibliothèque privée de Pologne et sa maison était le rendez-vous privilégié de tous les intellectuels de premier plan de la Haskalah. On y venait discuter avec Isucher l’érudit mais surtout pour consulter des ouvrages uniques dont certains incunables imprimés en latin et en hébreu.

Trois des livres de la bibliothèque de Isucher se sont retrouvés miraculeusement à Lisbonne chez son fils Samuel et sont aujourd’hui sauvés et entreposés dans la Bibliothèque Sotto Maior Cardia de l’Universidade Nova de Lisbonne. Voici des copies des trois premières pages d’un des livres qui a pu être sauvé. Il s’agit de l’œuvre de Johann Cristoph Wagenseil, de 1681 « Tela Ignea Satanae hoc est Arcani, et horribiles Judaeorum adversus Christum Deum, et Christianam religionem libri Anekdotoi », une compilation de textes polémiques antichrétiens d’origine juive.



La bibliothèque d’Isucher contenait des milliers de livres au 7 septembre 1939, date de l’occupation de Zgierz par les troupes nazies. Que sont ils devenus, ont-ils pu trouver le chemin du dépôt d’Offenbach? Et si oui où seraient-ils aujourd’hui?

A la veille de la deuxième guerre mondiale, on compte à Zgierz environ 4.800 Juifs pour une population de 25 à 30.000 habitants. Le bombardement de la ville par la Luftwaffe commence le 3 septembre 1939 et dure trois jours. Le 7 septembre, Zgierz est prise par la Wehrmacht.

Isucher âgé de 80 ans assiste impuissant au pillage de la ville. Les soldats, les SS et les Allemands d’origine locale battent, torturent des Juifs dans les rues, organisent des pillages dans les maisons juives et s’emparent des plus belles demeures. A partir du 10 septembre les Allemands commencent à fouiller systématiquement les maisons juives, volant argent, bijoux, nourriture, vêtements, tableaux et meubles, cassant les planchers, détruisant les fours, saccageant les caves.

Le 24 novembre, les nazis incendient totalement la synagogue et le Beis Midrash (maison de l’enseignement de la Torah). Le cimetière juif est dévasté et les pierres tombales servent à paver les rues. En novembre 1939 une partie des notables de la communauté est envoyée dans le camp de concentration de Radogoszcz près de Lodz, mais Isucher réussît à rester à Zgierz.

La liquidation de la communauté de Zgierz débute fin décembre 1939. Le mardi 26, les Allemands ordonnent à tous les Juifs de la ville de se rassembler le lendemain à 7 heures du matin au parc des sports de Sokol, sous peine de mort. Isucher meurt d’une crise cardiaque le lendemain, le 27 décembre. Sa fille Zosia et son petit fils Rijko qui vivaient avec lui sont pris dans la rafle du 26 Décembre 1939 et sont acheminés vers Varsovie où ils disparaissent dans le ghetto. Un autre de ses enfants, Henryk-Berus marié à Mala vivait à Lodz avec leurs deux enfants, David et Vladek. Ils furent également envoyés à Varsovie où tous à l’exception de David, périrent sous la furie Nazie. Isucher avait perdu sa bibliothèque, sa propre vie et celle d’une partie de sa famille.

Malgré des recherches sur le devenir de sa bibliothèque, rien n’a pu être déterminé avec précision. Un jour viendra peut-être où les autorités polonaises ou allemandes accepteront le retour d’au moins une partie de sa bibliothèque. Il est en effet difficile de croire que les allemands, dont les activités de spoliation avaient commencé bien avant le début de la guerre, aient laissé des œuvres d’une immense valeur se consommer dans un piètre Auto-da-Fé.

Samuel suivit les pas de son père Isucher. Dès son arrivée à Lisbonne vers la fin de 1914, il commença sa quête en vue de constituer une bibliothèque qui lui permettrait de mener à bien ses études sur l’histoire et le patrimoine juif au Portugal. Pour l’aider dans sa mission, il se fait membre de l’Association des Archéologues Portugais et fréquente avec assiduité les Archives de la Torre du Tombo. Par ce biais, il rencontre et se lie d’amitié avec les plus grands intellectuels de l’époque, tels Ricardo Jorge, Antonio Baiao, Carolina Michaelis de Vasconcellos, Santos Simoes, Garcês Teixeira, etc.

Très vite au hasard de ses voyages à l’étranger et de ses visites aux « alfarrabistas », il constitue sa bibliothèque qui a pu rassembler jusqu'à 10000 livres. A plusieurs reprises il exprima le vœu de voir sa bibliothèque intégrer le Musée Luso Hébraïque de Tomar situé à côté de la synagogue dont il avait fait don à l’Etat Portugais en 1939. Vers la fin de sa vie, Samuel pensa vendre sa bibliothèque à l’Etat d’Israël ce qui lui aurait permis, lui sioniste de la première heure, de réaliser un de ses vieux rêves, connaître la terre d’Israël. Cela ne se réalisa pas.

En parallèle, des pourparlers eurent lieu avec des représentants de l’Etat Portugais pour établir les bases d’une future vente. Une liste sommaire des principales œuvres du fonds bibliothécaire de Samuel fut constituée.

On notera la présence quasi exclusive d’œuvres à thématique juive ou ayant un rapport avec l’inquisition, dont un nombre important d’incunables (dont 13 en hébreu) certains ayant été imprimés au Portugal. Les négociations se poursuivirent pendant un certain temps car Samuel ne voulait pas se départir de sa bibliothèque et a même insisté pour qu’elle reste sous sa garde, dans l’éventualité où elle serait vendue, ce qui lui aurait permis de continuer ses recherches.


En 1953, à son décès, la question du devenir de sa bibliothèque se posa à sa fille Clara. N’ayant pas les moyens de préserver la bibliothèque dans de bonnes conditions, elle trouva un accord avec l’Etat Portugais à qui la bibliothèque fut vendue. Son transport vers le département « Arquivos Historicos » du Ministère des Finances fut exécuté dans de telles conditions que plusieurs livres furent perdus.

On aurait pu s’attendre à ce que les livres une fois parvenus à destination fassent l’objet d’un inventaire soigné pour ensuite partir vers le Musée Luso Hébraïque de Tomar pour y être exposés; mais l’Etat Portugais fit preuve d’une légèreté coupable. Pendant trente trois ans, la bibliothèque de Samuel est restée confinée dans des boites dans les couloirs du Ministère des Finances. Mal protégées, elles furent exposées à la vue de tous. Pendant des années, le petit fils de Samuel qui lui aussi aime les livres anciens put se rendre compte que des œuvres par centaines étaient passées par les mains des plus grands « alfarrabistas » de Lisbonne. Aujourd’hui encore il n’est pas rare de constater la présence de livres portant l’ex-libris de Samuel dans les ventes aux enchères à Lisbonne.

Finalement en 1986, ce qui restait de la bibliothèque de Samuel intégra le fonds de l’Institut d’Histoire Juive Ancienne de la Faculté de Sciences Sociales de l’Université Nova de Lisbonne. Il fallut attendre encore quatre ans avant que les livres n’intègrent le fonds de l’Institut Oriental. En 2010, les quelques 750 livres composant le reste de sa bibliothèque fut protégée dans une salle inaccessible et fait maintenant partie de la Bibliothèque Sotto Maior Cardia de l’Université Nova de Lisbonne.

Grâce à l’initiative du Professeur Francisco Caramelo et de son équipe et le soutien de la Fondation Calouste Gulbenkian, un travail sérieux fut entrepris pour faire une indexation des œuvres et pour la préparation d’un catalogue des principales œuvres toujours présentes. En outre certaines des œuvres vont être numérisées et rendues disponibles par l’intermédiaire d’un site WEB. L’accès à la bibliothèque sera aussi rendu plus facile notamment aux étudiants niveau doctorat qui pourront les consulter notamment l’une d’entre elles, donnée perdue en 2004 et retrouvée depuis. Il s’agit d’un Psautier de Agostinho Justiniano «Psalterium Hebraeum, Grecum, Arabicum et Chaldeum » daté de 1516 et publié par Petrus Paulus Porrus à Genova. Cet ouvrage est particulièrement intéressant; écrit 10 ans après la mort de Christophe Colomb dont le lieu de naissance et la nationalité font régulièrement l’objet de débats, il mentionne la découverte de l’Amérique et serait donc la preuve de la nationalité genevoise de Colomb.

Peut-on espérer retrouver un jour les nombreux livres disparus de la bibliothèque de Samuel et les voir trouver leur place auprès de leurs «congénères»? L’histoire nous enseigne qu’il ne faut pas trop espérer mais que parfois des œuvres se perdent pour parfois réapparaitre ailleurs. Une découverte miraculeuse d’une partie de la bibliothèque de Samuel eut lieu récemment. Il s’agit de la collection de manuscrits des prières marranes recueillies par Samuel dans la région de Trás-os-Montes e Beiras de 1916 à 1925. En effet pour éviter que ces documents ne soient éventuellement confisqués par l’église catholique, Samuel avait pris soin de les céder au Jewish College de l’Université de Cincinnati aux Etats Unis. Par un concours de circonstances tout à fait unique, le petit fils de Samuel prit connaissance de leur existence et espère qu’ils puissent un jour être rapatriés au Portugal.

Samuel Schwarz a tant œuvré pour retrouver les racines du passé juif Portugais par ses travaux d’épigraphie hébraïque, la découverte qu’il fit de la synagogue de Tomar et de l’existence des Marranes de Belmonte qu’il serait certainement très heureux de savoir que sa bibliothèque n’a pas totalement disparue comme celle de son père. Il serait en outre très honoré de constater que son œuvre est toujours l’objet d’étude et d’admiration; les jeunes générations de chercheurs, historiens ou anthropologues qui poursuivent actuellement des travaux pour mieux comprendre le passé et le possible devenir des juifs au Portugal contribuent sans aucun doute à sa reconnaissance posthume.

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