Um conto de Natal por Artur Augusto da Silva (versão em francês) 1962

Un conte de Noël

 

Nuit de lune en Décembre ...
 

Dans le village de Quebo, perdu dans l'arrière-pays de la terre des Peuls, la conversation du tubabo avec son vieil ami, Tcherno Rachid, se poursuit tandis qu’assis tout autour, les sages du village écoutent les paroles de l'homme de Dieu.

 

Cet homme de Dieu est un peul, né dans la région, mais dont les ancêtres, il y a quelques trois mille ans, sont venus des berges du Nil.

 

Maître en droit coranique et philosophe, Tcherno Rachid s’est lié d’une amitié profonde avec le tubabo – le blanc – il y a quinze ans quand, venu dans son village, il lui avait parlé en peul.

 

Le tubabo est aussi un philosophe venu en Afrique à la recherche de la paix d'esprit que le monde européen ne pouvait plus lui donner.

 

Autrefois, il avait été critique d'art et poète, champion des idées nouvelles, et parce qu’il avait proclamé dans une réunion bondée de jeunes, qu’une voiture lancée à une centaine de kilomètres par heure était plus belle que la Victoria de Samothrace, avait acquis la réputation de "penseur profond".

 

Si quelqu'un avait demandé pourquoi le blanc était là, au cœur de l'Afrique, dans cette nuit de Noël, il aurait pu obtenir comme réponse un simple haussement d'épaules ou peut-être aurait-il pu entendre que son esprit avait besoin de ces mots simples qui réconfortent l’âme des justes et allument une lumière dans la poitrine des hommes.

 

Tcherno Rachid venait de répéter  les paroles du Prophète: « Aucun homme n'est supérieur à une autre, sauf par sa piété »

- Frère, répondit le tubabo: alors le croyant n’est pas supérieur à l'infidèle?

- Ils sont tous les deux des enfants de Dieu -  dit Tcherno - et ce n’est pas à l’homme  de juger l’œuvre de son Créateur.  Celui qui n’aime que ceux qui pensent comme lui n’aime pas les autres, il ne fait que s’aimer lui même. Seul celui qui aime ceux qui pensent différemment, vénère Dieu qui est le père commun de nous tous. De même que vous pouvez adorer Dieu dans plusieurs langues, vous pouvez entrer dans une église, une mosquée ou une synagogue. Quand vous allez à travers les bois et admirez la grande taille d'un arbre, les plumes bariolées d'un oiseau, la force de l'éléphant ou l'agilité de la gazelle, vous murmurez une prière qui plaît à Dieu, le Créateur de tout ce qui existe, prière bien plus agréable que celles  prononcées par les lèvres mais que le cœur ne sent pas.

 

- Frère Tcherno, et celui qui ne croit pas en Dieu, mérite-t-il votre estime?

Rachid ferma ses yeux a demi tendit sa main décharnée vers la pleine lune en phase de croissance, et répondît:

- Nombreux seront ceux que vous entendrez dire qu’il ne mérite même pas un regard des hommes, mais moi je pense que l'incroyant mérite plus notre amour que le croyant. Il est un compagnon de chemin qui s’est perdu. Il est de notre devoir de le chercher, de l'aider et de l’emmener chez nous afin qu’il s’y repose. Il est un enfant de Dieu comme vous, comme moi ... comme nous tous.  La lune, avant d’être aussi lumineuse qu'elle ne l’est aujourd'hui, a passé sept jours dans l’obscurité, invisible à tous, sauf à Dieu. Ecoute, frère, celui qui pense qu'il ne croit pas en Dieu, c’est parce qu'il croit en lui-même et ce faisant il croit déjà en Dieu, parce que l'homme a été illuminé par le souffle divin et est donc à son image.

 

La lune se levait dans le ciel, lente, majestueuse, illuminant le village et la forêt, les rivières et les mers ...

 

Les hommes sages, dont l'autorité et les avis étaient remarqués, acquiescèrent aux paroles de Tcherno, et le blanc, ému à l'idée que très loin de là, à plusieurs milliers de kilomètres, ses grands-parents, ses parents, ses frères et sœurs, étaient réunis autour d'une table pour célébrer la veillée de Noel et se rappelaient certainement du «fils prodigue»,  laissa naitre une larme qui gonfla et traversa son visage buriné par le soleil brûlant des tropiques.

 
 
Artur Augusto Silva, Bissau, 1962